JOYEUX NOËL ET BONNE ANNÉE 2020

FELIZ NAVIDAD Y PROSPERO AÑO NUEVO 2020

NOHELI NZIZA N'UMWAKA MUSHA MUHIRE

dimanche 4 janvier 2015

LES RELIGIEUX FACE AU CHOMAGE


Ces derniers jours, à l’occasion des fêtes de Noël et du Nouvel An, j’ai reçu abondamment des messages de souhait du bonheur et de prospérité et de toutes sortes de grâces divines. Avec insistance, le concept de prospérité réapparaissait dans presque tous les messages. Cela a suscité ma curiosité pour me demander si la prospérité souhaitée par la plupart de mes amis avait un rapport quelconque avec la magie ou si les conditions économiques qui la sous-entendent allaient changer au cours de cette année 2015. 

Comme religieux, et étant donné que la plupart des messages reçus provenaient des religieux, je me suis posé la question si ce concept de prospérité ne participe pas d’un rêve collectif. Au-delà des émotions entourant les fêtes de fin d’année, j’ai voulu réfléchir sur la prospérité désirée de nos contemporains religieux.

Par mes observations et mon expérience, je me suis rendu compte qu’on ne peut pas parler de prospérité s’il n’y a pas de croissance quantitative de l’avoir. C'est vrai que la prospérité ne se limite pas au matériel; elle aussi spirituelle. Mais je ne doute pas que les souhaits reçus comprenaient une dose importante de la prospérité matérielle. Hormis la question de la pauvreté que les religieux professent, la prospérité existe là où l’acquisition des avoirs affiche des signes positifs. Pour acquérir des avoirs, plusieurs voies, reconnues d’ailleurs par le Code de droit canonique, s’offrent aux religieux : dons, héritages, quêtes, vente des biens, salaire, etc. Etant donné que le mode commun de nos contemporains d’acquérir des avoirs est par le travail, je me suis intéressé particulièrement de cette voie pour atteindre la prospérité et voir comme le collectif des religieux s’en sort avec. 

Depuis des lustres, il règne dans la mémoire collectif une croyance des religieux assidus au travail avec des résultats positifs assurés. La maxime de « ora et labora » (prière et travail) qui caractérisa les moines des grands couvents de l’Antiquité et du Moyen-âge ne semble pas souffrir apparemment d’aucune nuance même de nos jours. Et pourtant, la réalité n’est pas nécessairement correspondante aux imaginations et rêves collectifs. Ainsi, la question du chômage des religieux vaut la peine d’être posée. Existent-ils des religieux en situation de chômage ? En d’autres termes, existent-ils des religieux dont la prospérité n’est pas assurée dans un avenir proche ? Peut-on parler des religieux qui vivent dans la précarité personnellement ou collectivement ?

La réflexion que je compte partager ici, je dois le reconnaître, est encore dans un état embryonnaire. Il faudrait la compléter avec des enquêtes fouillées et circonscrites à une aire géographique précise. Dans l’ensemble, la situation que j’évoque ici concerne quelques pays d’Afrique et en particulier l’Afrique centrale que je connais le mieux. Le phénomène que je décris ne concerne pas toutes les familles religieuses mais un bon nombre peut s’y reconnaître. Et si un religieux en particulier peut ne pas se sentir concerné, au moins il peut reconnaître un ami religieux qui vit ou qui a vécu une situation similaire. J’avoue que dans cette réflexion, j’ai eu l’impression que le thème de chômage des religieux est tabou et qu’en l’abordant, il faut faire beaucoup de réserve. 
Un de ces réserves c’est son ampleur ? Combien de religieux vivent-ils en situation de chômage ? Comme je disais avant, il nous manque encore des statistiques fiable mais le problème ne peut pas être ignoré. 

D’abord, il convient de se rendre compte que le monde des religieux est pluriel. Il y a des prêtres, des frères et des religieuses. Chaque famille religieuse (institut ou congrégation) a un charisme qui opère comme le moteur des activités du groupe ou religieux. La vie d’une congrégation tourne autour de son charisme. Tant que le charisme est vivant, il serait impensable que les membres adhérant à ce charisme chôment. Et cet ici, que les incompréhensions surviennent.

En effet, avec l’implantation d’une congrégation dans un pays donné ou avec la naissance d’une congrégation ses activités sont bien définies et reconnus par l’autorité ecclésiastique (Code de droit canonique actuel, canons 610 et 611). Cette implantation est normalement une affaire d’une équipe de quelques individus. Une fois implantée, le désir de la croissance de la famille ou congrégation entraine l’accueil ou l’adhésion des nouveaux membres. Intentionnellement tout le monde doit participer ou se consacrer aux œuvres charismatiques mais la réalité déborde souvent les prévisions. Il arrive que les membres deviennent très nombres et que le champ couvert par les œuvres charismatiques ne se soit pas étendu en conséquence. Il peut arriver aussi que les besoins qui ont motivés l'implantation d'une congrégation religieuse dans une localité donnée disparaissent. La crise du charisme est un sujet que presque toutes les congrégations surtout les anciens ou qui proviennent d’Europe ont eu à affronter. D'autres facteurs comme la disparition des pionniers du projet ou leur retour au pays natal, le changement d'activité, etc., aggravent souvent la crise. La prospérité désirée ou souhaitée accuse le coup. Certains membres dans de telles situations se retrouvent en chômage technique ou non déclaré.

Pour comprendre cela, prenons deux exemples courants. Un prêtre est sensé dire la messe, prier l’office des heures, et s’il est attaché à une paroisse, confesser, visiter les malades, préparer les fidèles aux sacrements. Une telle activité est sensé couvrir une journée de travail. Mais ce ne sont pas tous les jours où il y a des pénitents, des malades à visiter, des sacrements à préparer. Et si dans cette paroisse, il y a trois ou quatre prêtre, du moment où les religieux doivent former une communauté de trois membres au minimum, un ou deux pénitents ne peuvent pas occuper les trois prêtres. Parlant de la prospérité de ces trois prêtres, ils doivent attendre ce que les fidèles apporteront de leurs offrandes. Leur prospérité est liée à la générosité de leurs fidèles et non du travail qu’ils fournissent. Un autre exemple pourrait s’agir d’une sœur qui vient d’être destinée à sa nouvelle communauté. Elle a professé déjà les vœux perpétuels. Dans sa nouvelle communauté, seule une sœur à un travail rémunéré dans un diocèse. Le reste fait le travail domestique. Le diocèse ne peut pas engager toutes les sœurs car toutes n’ont pas de qualification professionnelle spécifique. La prospérité dans cette communauté dépend du salaire d’une seule sœur qui à peine suffirait pour couvrir ses besoins personnels.

Ces deux exemples fictifs reflètent certaines situations que vivent certaines communautés religieuses d’Afrique. Avec toutes les réserves, on peut essayer de comprendre les raisons qui sont à l’origine de ce problème. A mon avis, on peut relever :

1. Le monde en mutation. A l’époque, les religieux avaient des grandes concessions. Les couvents ressemblaient à une grande entreprise du point de vue de l’organisation et de la production. Aujourd’hui, pas mal de communautés n’ont pas ces vastes terres des anciens couvents. Les moyens de production et l’expertise des anciens font défaut. Des nouvelles communautés vivant en location apparaissent. La technologie (agriculture, artisanat, architecture, etc.) n’est plus du ressort des couvents, mais des universités.

2. La formation non compétitive. Les religieux aujourd’hui, sauf des cas rares (en médecine et dans l’enseignement), ne sont pas compétitifs sur le marché du travail. Il y a quelques années, les religieux étaient massivement présentes dans l'humanitaire. L'irruption des ONGs  spécialisés dans l'humanitaire: projets de développement, urgences, etc., a renvoyé une bonne partie des religieux au couvent par manque de compétence compétitive. Leur formation n’est pas orientée vers le travail. La connaissance de la théologie est une bonne chose pour des besoins internes. Et là aussi, il n’y a pas de cause à effet dans le sens qu’une grande formation théologique doit produire nécessairement un bon religieux. Souvent une prière d’une religieuse ordinaire est plus profonde, si vraiment Dieu s’en tient à nos formulations, que celle d’un théologien académicien. La prospérité relevant des fruits du marché du travail ne semblent pas une question à résoudre dès demain.

3. Le recrutement clientéliste. En Afrique, ne nous le cachons pas, le sentiment tribal est encore très fort. En soi, ce n’est pas mauvais. Il y a une sorte de reconnaissance en cela. Le frère, c’est le frère, celui qui vous a relevé de la boue, celui qui vous a montré la route. On ne grandit pas sur les nuages. Si le frère est en chômage, il vous demandera la moitié de ton salaire. Lancer le frère, comme on dit, c’est un acte de remerciement. Qu’est-ce qu’on observe sur le marché du travail ? Il faudrait parler d’un miracle si, pour deux religieux avec la même compétence qui postulent pour un même poste, un étranger est retenu. Qui est étranger dans ce cas ? Celui qui n’est pas de la tribu, du pays, de la congrégation, etc. Ailleurs, on observe les mêmes comportements (même si le mal ne devient un bien pour être pratiqué par tous). Ce n’est pas de l’injustice. C’est simplement de l’humain. Le religieux qui ne compte pas sur les œuvres de sa congrégation a des beaux jours pour attendre son tour ; car, les postes dans les œuvres des autres congrégations sont réservées. 

4. Les difficultés d’adaptation au monde des affaires. Les religieux, en général, sont bien formés à la franchise, à la transparence, à l’éthique, à la générosité. C’est vrai que le monde des affaires apprécient ces valeurs, mais rechignent d’abandonner encore la ruse, le combat dur, les coups bas, etc. Un religieux dans un monde d’affaires est traité comme un innocent. Cela dispose les enfants de ce monde à s’insérer facilement dans le marché du travail que ne le ferait un religieux.

5. La paresse. Le mythe des religieux travailleurs est un train de céder le pas aux religieux viveurs. L’utilitarisme, la postmodernité et leurs valeurs de consommation à outrance gagne du terrain dans les milieux religieux. Parler du travail assidu, consciencieux est comme devenir l’ennemi de la vie. La conséquence est le service des religieux qui perd de plus en plus de qualité. Le bricolage s’installe. Le rendement étant médiocre, les entrées s’amenuisent. La prospérité collective et individuelle, dans ce cas, est compromise.

De cette réalité, dont l’ampleur nous est impossible de calibrer aujourd’hui, on ressent, pour les communautés comme pour les religieux, des répercussions à considérer à l’heure d’envisager une prospérité durable. Il s’agit :

1. Au niveau des religieux individuellement, de l’anxiété qui touche le religieux en chômage. Il vit sans vivre. Le temps devient interminable et l'insomnie s'installe. Ce religieux n’a pas de sous comme les autres. Il ne s’offre pas les mêmes caprices que les autres. En effet, l’économat central est censé niveler tout le monde à la même règle. Le supérieur a la mission de subvenir aux besoins de chacun (canon 619). Mais certains dirons leurs besoins, d’autres ne le diront pas par pudeur peut-être. Dans certains cas, les inégalités entre frères (et sœurs aussi) posent le problème de la profession de vœu de pauvreté. Certains se débrouillent pour parier à la situation ; d’autres sombrent dans le faux ou l’infidélité. 

2. Au niveau de la communauté religieuse, le problème du chômage des religieux met sur la table la crise du charisme qui ne s’incarne pas dans les œuvres des frères ou sœurs. Parce que là où il y a le charisme vécu pleinement, il ne peut pas y avoir de chômage des religieux. Pour la congrégation dont une partie des membres souffrirait de ce problème, il y aurait l’urgence d’analyser pourquoi accueillir de nouveaux membres avec un lendemain incertain, sans prospérité. 

Les solutions, pour des cas actuels ou prochaines, ne viendront pas d’un seul souhait de Bonne Année. Parfois des solutions structurelles s’imposent selon la nature de la cause à l’origine de la situation. La formation spécialisée me paraît une garantie pour se prémunir du chômage des religieux. Aussi, les religieux doivent se rendre compte des changements intervenus dans le monde et s’adapter. En parlant des religieux en situation de chômage, on doit penser aussi à ceux-là qui sont en retraite anticipée, c’est-à-dire des religieux qui travaillent en dessous de leur capacité. 

Comme au début de cette réflexion, je termine en évoquant les souhaits de bonheur et de prospérité pour tous les religieux pas comme un rêve mais comme une réalité programmable communautairement et individuellement. Bonnee Année 2015.

Kaziri Pierre.