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vendredi 21 octobre 2011

LA PREUVE DE LA REPUTATION DE SAINTETE DANS LES CAUSES DE CANONISATION

I. Introduction.

Habituellement, ce sont les Serviteurs de Dieu des autres cieux ou continents qui ont été inscrits dans le catalogue des saints mais de plus en plus notre continent africain connaît ses propres représentants. Personne n’ignore la figure des martyrs de l’Uganda, de sainte Joséphine Bakhita du Soudan, des bienheureux Victoire Rasoamanarivo de Madagascar, Clémentine Anuarite et Isidore Bakanja de la RDC, Cyprien Tansi du Nigeria, etc. Des causes en cours existent dans de nombreux pays du continent : au Cameroun avec Baba Simon et Monseigneur Vieter, au Burundi, avec les séminaristes de Buta, etc. Pour canoniser quelqu’un, il faut des preuves : la réputation de sainteté, l’absence d’erreurs de foi et de mœurs, la pratique héroïque des vertus, le martyre, le culte ou l’absence de culte, les signes et les miracles. L’ensemble de la procédure s’appelle « cause de canonisation ».
Ici, nous allons considérer uniquement la réputation de sainteté ou de martyr et des miracles.

II. Qu’est-ce que c’est la réputation de sainteté ?

La réputation de sainteté c’est la voix du peuple qui réclamait que tel personnage soit canonisé. Vous vous rappelez de la réclamation (« santo subito ») du peuple de Dieu lors des obsèques du Bienheureux le Pape Jean Paul II. Dans les premiers siècles, c’était la forme ordinaire de canonisation. Aujourd’hui la loi exige encore à l’Évêque diocésain qu’avant d’entreprendre une cause, il doit vérifier si le Serviteur de Dieu jouit auprès d’une part significative du peuple de Dieu d’une large et authentique réputation de sainteté ou de martyre associée à une large et authentique réputation des signes (Sanctorum Mater, art. 7, § 1) [1].
Qu’est-ce que c’est la réputation de sainteté ou de martyre ou de signe ? D’après le dictionnaire Robert, la réputation est le fait d’être connu honorablement ou non. Pour la Enciclopedia Cattolica (1950), la réputation correspond à la bonne idée ou image que les gens se font d’une personne dans un contexte déterminé pour une qualité morale, physique, intellectuelle, etc…
Du point de vue canonique, selon Benoît XIV (1675-1758), considéré unanimement comme le Maître dans les causes de canonisation, la réputation de sainteté est l’opinion commune des hommes et des femmes intègres envers un serviteur de Dieu déjà mort, au sujet de la pureté et de l’intégrité de vie et des vertus héroïques ainsi qu’au sujet des miracles réalisés par Dieu grâce à son intercession. Dans le même sens, M. D’Alfonso (1976) a défini la réputation comme une considération collective de la sainteté, martyre ou miracles et œuvres attribuées à un Serviteur de Dieu par des gens et qui fait naître un culte ou une tradition de culte. Quant à Zanetti (2002), il considère la réputation comme la voix du peuple qui reconnaît dans la vie des Serviteurs de Dieu le reflet de la vie du Christ et du mystère pascal comme des exemples à imiter et des frères à invoquer.
Étant donné que la réputation de sainteté est une exigence normative, qu’elles sont les considérations ou aspects canoniques de sa preuve ?

III. La preuve de la réputation de sainteté.

Selon les normes actuelles, reprenant la tradition séculaire dans les causes de canonisation, « la réputation de sainteté doit être spontanée et non pas procurée artificiellement. Elle doit être stable, avoir un caractère de continuité, être répandue parmi des personnes dignes de foi et elle doit se rencontrer dans une part significative du peuple de Dieu » (Sanctorum Mater, art. 7, § 2 ; Codex Iuris Canonici de 1917 c. 2050). Au vue de cette prescription, la preuve de la réputation de sainteté doit examiner quatre aspects : 1) la spontanéité ; 2) l’origine ; 3) la stabilité, la continuité et l’extension ; 4) et enfin l’actualité.
1. De la spontanéité. La norme demande que la réputation ne soit pas procurée artificiellement. La réputation de sainteté ne doit pas être le fruit d’une propagande de certains groupes comme s’il s’agissait d’une promotion sociale. La pratique des vertus, le martyre, les signes ou faveurs opérées grâce à l’intercession du Serviteur de Dieu sont des dons qui ont la capacité d’éveiller parmi le peuple de Dieu l’opinion favorable de sainteté à son égard. Pour prouver cette spontanéité, on considère les témoins et les documents. Pour éviter l’effet d’exaltation ou induction de la réputation, la norme exige d’attendre cinq avant la demande d’engager une cause de canonisation. Ce temps peut être dispensé surtout quand le candidat avait une réputation de sainteté très répandue même avant sa mort. C’est le cas des Bienheureux Mère Thérèse de Calcutta et du Pape Jean Paul II.
2. L’origine de la réputation. La preuve de l’origine de la réputation a trait à la loi qui exige que la réputation doit émerger des personnes sérieuses, honnêtes et dignes de foi (Normae Servandae de 1983, nn. 17; 31, c ; Sanctorum Mater, art. 99, 1.). En effet, la réputation ne peut pas provenir de l’ignorance, des rumeurs, des personnes scrupuleuses, malades, suspectes ou trop intéressées. Pour cela, il faut que les témoins précisent les sources de leurs connaissances : direct ou indirect, oculaire ou de rumeur. Pour plus de crédibilité des témoignages, la loi exige à tous les témoins de prêter serment de dire et d’avoir dit la vérité. Le tribunal doit écouter aussi, sous peine de nullité des actes, les témoins contraires à la cause. Il peut en citer d’autres ex-officio.
3. La stabilité, la continuité et l’extension de la réputation. La stabilité, la continuité et l’extension de la réputation sont en étroite relation. En effet, la continuité de la réputation montre que celle-ci n’a pas été interrompue et par conséquent stable. Certaines circonstances peuvent interrompre la réputation momentanément. Dans ce cas, la réputation reste latente et le postulateur doit montrer les motifs de cette interruption. C’est le cas aussi de demander l’ouverture de la cause de canonisation au delà de trente ans. L’extension ou augmentation de la réputation montre que la continuité est croissante. A cette expansion, il peut y avoir des difficultés liées à la zone linguistique, à un lieu isolé (île, institut ordonné intégralement à la contemplation, zone rurale et difficile d’accès, vie érémitique, etc.), au charisme du Serviteur de Dieu déjà connu et peu attractif, l’émergence de plusieurs figures à la fois faisant qu’une grande figure fasse oublier les autres, la limite de la saine propagande, etc. Ces difficultés peuvent être surmontées en considérant l’importance ecclésiale de la cause ; aussi les autorités ecclésiales peuvent estimer que la sainteté peut exister avec une réputation modérée.
4. L’actualité de la réputation. La norme exige que dans toutes les causes, anciennes et récentes, la réputation de sainteté soit actuelle. Il n’y a pas de cause pour un Serviteur de Dieu dont la réputation de sainteté se serait éteinte. Cela fait que la réputation de sainteté est prouvé par des témoins oculaires qui témoignent de ce qu’ils ont vu et non entendu. Elle peut être prouvé aussi par des documents récents (œuvres lus du ou sur le Serviteur de Dieu). La réputation actuelle est un indice de la vitalité du charisme du Serviteur de Dieu.
Et quel est la place de la réputation de sainteté dans une cause de canonisation ?

V. La place de la réputation dans une cause de canonisation.

Partant des données que nous disposons, nous pouvons affirmer que la réputation de sainteté accompagne toutes les étapes du procès de canonisation, du début à la fin. En effet, une cause de canonisation est structurée en deux phases : la phase d’enquête diocésaine et la phase romaine d’étude et d’évaluation des preuves.
La phase d’enquête diocésaine commence avec la demande d’entreprendre une cause de canonisation adressée à l’évêque diocésain par un postulateur. Celui-ci représente une personne physique ou morale qui promeut la cause et qu’on appelle acteur (association catholique, paroisse, diocèse, congrégation religieuse, etc.). L’évêque compétent pour mener l’enquête est celui du lieu où est mort le candidat à la béatification ou canonisation. La demande ne peut pas être introduite avant cinq ans. Si le délai passe de 30 ans, il faut justifier les causes du retard. Le postulateur dans sa demande indique le nom du candidat, celui de l’acteur et son adresse, sa nomination, la biographie du candidat, ses écrits et la liste des témoins pour la preuve de la réputation de sainteté et des signes, des vertus héroïques ou du martyre. Dans les causes anciennes, les témoignages portent uniquement sur la réputation actuelle. Avant d’accepter la demande, l’Evêque diocésain vérifie si le candidat jouit d’une réputation de sainteté, s’informe auprès des évêques de la Conférence épiscopale ou de la région sur l’opportunité d’entreprendre la cause et demande aux fidèles des diocèses voisins de lui fournir des informations utiles. Il demande le Nihil Obstat à la Congrégation pour se rassurer qu’il n’y a aucun obstacle à la cause et informe aussi de l’importance ecclésiale de la cause. S’il juge que la cause possède un fondement solide (fumus iuris), il nomme des censeurs théologiens, au moins deux, pour examiner les écrits publiés du candidat (livres, conférences, débats, homélies, textes de fondation, etc.). Il est recommandé d’examiner aussi ses écrits inédits : correspondances, méditations, etc. Si dans ces écrits, il n’y a rien contre la foi et les bonnes mœurs, l’Evêque diocésain nomme une commission des experts en histoire et archives pour rassembler tous les documents du candidat (publiés et inédits) et sur le candidat. Il constitue aussi un tribunal avec un Délégué épiscopal, un Promoteur de justice, un Notaire et des Auxiliaires. La première session du tribunal qui suppose l’ouverture de la cause, se fait en présence de l’Evêque ou son Délégué pour la circonstance et comporte la prestation de serment par les officiels. Désormais, le candidat s’appelle Serviteur de Dieu. Il ne jouit d’aucun culte. Le tribunal constitué doit examiner les témoins sur la réputation de sainteté, signes et miracles, la pratique héroïque des vertus ou martyre à partir des questions élaborés par le Promoteur de justice après avoir analysé la documentation sur le candidat. Si l’on craint la perte de certains témoignages (ne pereant probationis), le tribunal peut interroger les témoins avant que les experts ne terminent le travail de rassembler tous les documents. Les actes du tribunal et l’ensemble des documents et des déclarations constituent un dossier dénommé « Archétype » et qui sera gardé dans l’archive secrète du diocèse. Sa copie authentique est envoyée sellé à la Congrégation des Causes des Saints à Rome lors de la dernière session de clôture. Avant cette cession, s’il s’agit des causes récentes, le tribunal visite l’habitation du Serviteur de Dieu pour se rassurer de l’absence de culte selon les normes d’Urbain VIII (1634).
A Rome, les causes sont enregistrées selon l’ordre d’arrivée. Dans la pratique de la Congrégation les pays qui n’ont pas assez de saints reconnus jouissent d’une attention préférentielle. Arrivé à Rome, la cause entre dans sa deuxième phase. L’acteur doit nommer un nouveau Postulateur auprès de la Congrégation et qui doit résider à Rome. Le premier Postulateur peut être reconduit mais avec une nouvelle nomination et une résidence à Rome. Dans la Congrégation, on examine d’abord le respect des normes dans la conduite de l’enquête diocésaine : compétence du tribunal, nomination régulière, validité des actes. Si l’enquête a été bien menée, le dossier est confié à un Rapporteur pour élaborer la Positio : un instrument scientifique bien structuré et concis qui reflète le résultat ou preuves de l’enquête diocésaine. Le Rapporteur se fait aider par un adjoint choisi par le Postulateur. Dans les causes anciennes, la Positio est présentée à la commission des experts en histoire et archives pour confirmer qu’elle répond bien aux critères de la méthode historico-critique. S’il y a des questions particulières à soumettre aux experts, on peut toujours faire appel à eux. Au contraire, la Positio passe à la commission des théologiens pour donner leur avis sur le dossier. De la commission des théologiens, la cause passe au congrès des Cardinaux de la Congrégation. Si le vote de deux tiers est positif, on demande au Pape d’accorder le décret de martyre ou de pratique héroïque des vertus. Une fois le décret accordé, le Serviteur de Dieu est appelé Vénérable. Avec la reconnaissance d’un miracle opéré par le Serviteur de Dieu, le Pape peut décider la Béatification. Pour les martyrs, le miracle peut être dispensé. Après la Béatification, un miracle est exige pour être canonisé. La canonisation est une décision personnelle du Pontife Romain et a une portée théologique dogmatique.
Dans ce processus, on remarque que la réputation de sainteté est toujours présente. Elle conduit inexorablement à la clarification des autres preuves et la maitrise de la dynamique d’une cause de canonisation. En effet, l’acceptation de la cause en dépend. La connaissance de ses fondements, l’élaboration d’une liste des témoins, la confection de la biographie, les preuves des vertus ou du martyre, la saine propagande pour l’expansion du charisme, l’élaboration de la Positio, etc., sont des éléments qui concourent à la connaissance des preuves disponibles et de la dynamique de la cause. Pendant l’enquête diocésaine, quatre moments clés caractérisent la preuve de la réputation de sainteté : 1) les preuves fournies par le postulateur ; 2) l’estimation de la réputation par l’Evêque diocésain ; 3) l’interrogatoire des témoins et le rassemblement des preuves documentaires ; 4) et la révision des actes avant l’envoi de copie authentique de l’Archétype. Dans la Congrégation, on peut relever deux moments fondamentaux : 1) l’élaboration de la Positio ; 2) et le jugement de valeur par la commission des théologiens et le vote du congrès des Cardinaux. Le décret reconnaissant la pratique héroïque des vertus ou le témoignage de martyr couronne la preuve de la réputation de sainteté.

VI. Conclusion

En considérant les normes actuelles des causes de canonisation, la réputation de sainteté occupe une place de choix. Sans la réputation de sainteté, pas de canonisation. Elle est prouvée essentiellement par les témoins oculaires. Cela est un signe que la vie des hommes de Dieu n’est jamais indifférente aux yeux des fidèles. Témoigner c’est aussi un devoir d’un chrétien pour la vérité. Il est possible qu’autour de nous vivent des saints ou a vécu des martyrs. Leur mémoire ne doit pas être oubliée. La volonté de conserver la mémoire des héros des vertus chrétiennes constitue le moteur des causes de canonisation.


Par Pierre KAZIRI, O. de M.

Docteur en Droit canonique


[1] CONGRÉGATION DES CAUSES DES SAINTS, Instruction « Sanctorum Mater », dans Acta Apostolicae Sedis 99.6, 2007, 465-509.

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