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NOHELI NZIZA N'UMWAKA MUSHA MUHIRE

mardi 14 décembre 2010

LA FIDÉLITÉ DANS LE CODE DE DROIT CANONIQUE

Quand on écoute les échanges des individus, la question de savoir si les hommes peuvent être fidèles revient souvent. Dans certains forums, on caricature le phénomène en disant que seuls les animaux, en particuliers les chats, sont fidèles. Mais la question est très sérieuse pour se demander si le Code de droit canonique aborde le problème en tant qu’une réalité qui peut affecter les relations de droits. Avant de scruter comment le Code actuel aborde la question, il conviendrait de voir en quoi elle consiste et que disent d’elle les sciences humaines.

I. Le concept et l’approche des sciences humaines

I.1 Le concept

Si l’on s’en tient aux définitions des dictionnaires, la fidélité apparaît comme : 1. l’observance de la foi que quelqu’un a dans une autre personne ; 2. l’attachement à ses devoirs et affection ; 3. la régularité à remplir ses engagements ; 4. la ponctualité dans la réalisation d’une chose. Ces définitions ont en commun d’appréhender la fidélité comme une constance, loyauté et cohérence dans la parole donnée ou compromis dans les faits. Mais comment la fidélité est perçue à travers les sciences humaines ?

I.2 La morale ou éthique.

Etant donné que la fidélité semble se référer à la bonté d’une personne, la morale est donc fortement interpelée pour nous dire quelque chose de la fidélité. Mais, on sait bien qu’il n’y a pas une morale mais des morales, c’est-à-dire des différentes orientations, choix, inspirations de vie. Selon la morale ou éthique de la personne, la possibilité ou l’impossibilité d’être fidèle peut être affirmé.
Des exemples pourraient étayer cette assertion :
a. La morale intuitive. Postuler l’intuition comme fondement de l’agir humain revient à reconnaître dans chaque personne une lumière qui l’éclaire pour agir bien. Cette lumière qu’on peut appeler aussi conscience apparaît comme guide de l’homme fidèle. La fidélité serait en relation avec la conscience droite capable de nous avertir de tout penchant vers l’infidélité. Le mérite de cette morale est de reconnaître la possibilité d’agir fidèlement mais elle ne nous explique pas comment cette conscience se forme et la qualification que pourrait avoir les actes relevant d’une « conscience grillée ». En d’autres mots la fidélité fondée sur la morale intuitive semble être trop subjective pour être universelle.
b. La morale normative. Ici la fidélité devient synonyme de la conformité aux normes. Les normes tracent la voie à suivre et l’homme connaît ses devoirs. La fidélité se traduit par l’obéissance et la soumission à la loi. De ce point de vue, la question de l’impossibilité de la fidélité ne se pose pas. Seulement on peut se demander s’il peut y avoir des lois pour tous les choix d’actes humains et si toutes les lois peuvent être bonnes. Le problème s’aggrave si l’obéissance de la loi vient à signifier la suppression de la liberté de l’homme. Dans ce cas, on ne serait pas loin des robots ou des chats dont on dit qu’ils sont toujours fidèles.
c. La morale des valeurs. Avec l’échelle des valeurs, on postule que l’humanité dans son évolution actuelle connaît le bien et le mal, des attitudes louables et d’autres à réprouver. Des attitudes louables comme le respect de la vie, l’affection, l’altruisme, la bonté, la miséricorde, la paix, etc., conduisent vers le bien et constituent l’échelle ascendante des valeurs. A l’inverse de cette échelle on y trouve des contrevaleurs qui mènent vers le mal : la torture, la haine, la méchanceté, etc. La fidélité appartiendrait à l’échelle des valeurs, à la recherche du bien. Le problème apparaît quand on se rend compte que tout le monde n’a pas la même échelle des valeurs. Et il n’est pas impossible qu’une contrevaleur soit érigée en valeur car ce qui constitue un bien pour une personne ne l’est pas nécessairement pour l’autre ou les autres. N’observons-nous pas comment les contrevaleurs d’hier comme les péchés capitaux tendent à devenir des valeurs de la modernité et vice versa ?
d. La morale de la situation. Dans cette orientation, l’agir est déterminé par la situation présente. On s’adapte. Les promesses ne relèvent que de la diplomatie. Comme un caméléon, les circonstances du temps et des lieux dictent la couleur ou l’attitude à prendre. Selon cette morale, la fidélité serait un vœu pieux et par conséquent dénué de sens.
e. L’amoralisme. D’emblée, ici la morale est niée comme aliénation des groupes dominants. Et sans morale, la fidélité n’est pas envisageable.
Du point de vue de la morale donc, déceler la fidélité d’un homme revient à identifier les principes moraux qui le guident. Et que disent d’autres sciences ?

I.3 La psychologie.

Sous l’angle de la psychologie, la fidélité n’est qu’une manifestation de comportement. Et le comportement caractérise la personne selon son âge, rôle dans la société. La fidélité alors fait référence à la personnalité. Partant de là, il est possible d’établir une fidélité normale ou une fidélité pathologique selon que les traits de la personnalité ou comportements de la personne sont considérés normales ou pathologiques.
On peut parler de fidélité normale à partir d’un comportement normal, responsable. Cela en fonction de l’âge de la personne et de son rôle dans la société ou entreprise. La fidélité traduirait la maturité de la personne. Si la personne a une fonction, sa fidélité peut être reconnue dans la mesure d’agir avec professionnalisme (secret professionnel, esprit du groupe, s’acquitter de ses responsabilités, etc.). La fidélité peut être même synonyme d’équilibre et d’intégration des patrons dominants et jugés normaux dans le groupe de référence.
Par contre, on serait face à une fidélité pathologique dans des cas d’attachement ou de dépendance phobique. La personne est fidèle mais par insécurité. Le scrupule serait une autre forme de fidélité pathologique. La personne victime de cette fidélité peut être dit immature. Et ici on voit que le facteur d’âge et de croissance de la personnalité est incontournable.
La considération de la fidélité du point de vue de la psychologie nous met en garde contre l’abus d’envisager la fidélité dans un seul sens. Elle peut être positive ou négative.

I.4 La sociologie

Avec les statistiques, la sociologie peut nous révéler l’ampleur de la fidélité ou de l’infidélité dans une société ou groupe d’individu donné. Par exemple dans une association ou dans un parti politique, que peut signifier la fidélité ? Attachement aux idéaux du parti ? Contribution financière régulière ? La durée dans la filiation ? Et dans le cas de commerce ou clientèle : comment mesurer la fidélité ? Le fait de recourir aux mêmes services par le fait des avantages octroyés ou des primes qui peuvent ressembler à l’achat des volontés ? Une étude semblable peut se pencher sur l’institution du mariage. L’absence de divorce peut-elle être synonyme de fidélité ? Ce n’est pas évident.
Ici, plus qu’une définition de la fidélité ou la confirmation ou non de sa possibilité, nous pouvons avoir une description ou fréquence de sa pratique et de sa durée dans le temps selon les cas. Et la faiblesse de ces données est que nous ne pouvons pas savoir les motivations subjacentes de telle ou telle apparente fidélité. La simulation peut être comptée comme une manifestation de fidélité alors qu’il n’en est rien.

I.5 L’anthropologie

Pour un anthropologue, la fidélité dans l’homme renvoie à l’amour de la vérité. Le contraire de la fidélité, c’est le mensonge, le dédoublement, le faux.
Un homme qui se dédouble, qui se complait dans le mensonge ou dont le mensonge est sa seconde nature, ne peut pas être fidèle. La quête de la vérité, l’inclination pour la vérité définit, fonde la fidélité dans l’homme. Le contraire c’est le théâtre, l’impression, les apparences.
Est-ce possible donc de se passer des apparences, de vivre dans la vérité ? L’anthropologie chrétienne répond que oui. Dans la foi et à la suite de celui qui est le chemin, la vérité et la vie, on peut être fidèle (l’homme qui vit selon la grâce de Dieu). Cela nous conduit à examiner la fidélité selon la science théologique.

I.6 La théologie

Comme nous le disions, la fidélité est perçue, en théologie, en relation avec la foi, avec la vie de foi. Le croyant est en même temps considéré comme un fidèle. Cela parce que la croyance transforme la personne et l’incline à la fidélité dans sa religion et tout ce qu’elle implique au niveau pratique, du comportement.
Le fidèle connaît sa religion, les dogmes comme les traditions. Il est lié (religion, religare) à son Dieu par une alliance. La fidélité est synonyme à l’adhésion à cette alliance. Dans le cas du Christianisme, la fidélité est traduite par l’adhésion au Christ en qui, par sa mort et résurrection, se noue une nouvelle alliance et éternelle. La suite du Christ (followship) est le propre de la fidélité. Cela effectivement implique non seulement la connaissance du Christ mais aussi l’observance de ses commandements et ceux de son Église, la pratique des rites pour vivre l’alliance (célébration des sacrements), l’obéissance aux autorités qui le représente, le rejet du péché, l’annonce de la Bonne Nouvelle (mission), etc.
En théologie, la fidélité est aussi discernable là où les vertus sont pratiquées. Il s’agit des vertus théologales (foi, espérance et charité) et morales (prudence, justice, force et tempérance). De manière particulière, la fidélité apparaît liée à la tempérance comme honnêteté, respect des lois, contrôle des passions.

I.7 Conclusion

Du point de vue des sciences humaines, nous remarquons que la fidélité est possible. D’après la morale, les principes adoptés pour orienter la vie peuvent rendre possible ou non la fidélité. La psychologie met en relation la fidélité avec la maturité, l’anthropologie avec la vérité et la théologie avec la suite du fondateur de la religion (le Christ dans le cas du christianisme ou Mahomet dans le cas de l’Islam). Comme l’homme ne s’explique pas à partir d’une seule science mais en considérant l’ensemble de ses dimensions et potentialités, on peut se tromper en voulant appréhender sa fidélité à base d’un seul critère quel qu’il soit. En somme, la fidélité ou l'infidélité ne peut pas être établie en partant d’un acte concret et précis. Un exemple nous est donné par la compréhension chrétienne du péché. Tout pécheur n’est pas considéré comme un infidèle. Le pécheur devient un infidèle lorsqu’il refuse la conversion. La fidélité est alors à comprendre dans un sens plus ouvert de l’orientation de vie, de l’inclination, de choix fondamental de vie. Ainsi la vie est perçue comme un ensemble continue et non un assemblage additionnel des actes que l’homme pose. Les erreurs et les chutes sont possibles sans toutefois remettre en causes la fidélité d’une personne. Comprendre ainsi la fidélité nous ouvre à l’expérience de la tolérance apaisée.
Qu’en est-il de la fidélité dans le Code de droit canonique ?

II. La fidélité dans le Code de droit canonique actuel

Après cette brève considération de la fidélité au regard de quelques sciences humaines, nous arrivons à notre sujet principal de chercher à comprendre comment le droit canonique aborde le sujet. D’emblée, il sied de dire que le droit canonique part du principe que la fidélité est possible mais qu’elle est fragile. Les normes qui la concerne tente de la protéger ou de la rendre ferme. De ces normes, on peut distinguer celles qui la sous-entendent et d’autres qui expressément la protège et l’encourage.

II.1 La fidélité implicite

Sans toutefois évoquer la fidélité partout, le Code de droit canonique la sous-entend en établissant des normes dont le but est de conduire au salut des âmes (c. 1752). Et c’est le Code dans son ensemble qui est ici concerné. En effet, les normes du Code ne cherchent qu’à tracer la route pour maintenir les croyants dans la fidélité au Christ et à l’Eglise. Ici, nous pouvons dire que la fidélité est comprise dans un sens large de vivre et d’être ce qu’on est : le fidèle du Christ. On peut dire que le Code nous rapproche de la fidélité telle qu’elle est perçue principalement par l’anthropologie. Les relations de droit que le Code décrit et favorise sont véritablement possible là où la fidélité est assumée et mis en pratique.

II.2 La protection de la fidélité

De façon explicite, le Code encourage la fidélité en indiquant des actions à éviter et en sanctionnant des fidèles qui les commettent. Ce sont des délits ou crimes que du point de vue du droit constituent des actes manifestes d’infidélité. Nous sommes ici dans le livre VI du Code de droit canonique et en particulier les canons 1364-1399. A ces canons, il faut ajouter les canons 694-696 pour les religieux et le canon 290 pour les clercs. Dans ces canons, il est énuméré des délits contre la religion et l’unité de l’Eglise, des délits contre les autorités ecclésiastiques et la liberté de l’Eglise, des délits d’usurpation des charges ecclésiastiques et des délits dans l’exercice de ces charges, des crimes de faux, des délits contre les obligations spéciales, des délits contre la vie et la liberté humaines. La liste est infini et ouvert car le c. 1399 prévoit la sanction contre d’autres violations de la loi divine et ecclésiastique.
De cette liste, on peut relever que tous les délits n’ont pas la même gravité. L’infidélité correspondante est donc relative à la gravité du délit. Certains sont tellement graves qu’ils entrainent la rupture avec l’Eglise : c’est l’excommunication qui dans certains cas est automatique, sans que l’autorité ecclésiastique n’intervienne. Il s’agit des excommunications latae sententiae. C’est le cas de l’hérésie, apostasie et schisme, de la violence physique ou meurtre contre le Romain Pontife, de l’absolution du complice, de la divulgation directe du secret de confession, de l’avortement, etc. L’excommunication perdure tant que la personne ne se repente pas (c. 1347). Avec le repentir et la réparation du scandale, l’autorité ecclésiastique compétente peut absoudre le délinquant.
Par ces normes, le Code admet la fragilité des hommes et, par conséquent, la possibilité des infidélités. Et de façon préventive, il met des garde-fous à la fidélité.

II.3 L’encouragement de la fidélité

Non seulement le droit canonique protège la fidélité mais aussi l’encourage. A travers des normes sur la profession de foi, les vœux ou les promesses, le consentement, la fidélité est reconnue et promue comme un bien dans l’Eglise.
A propos de la profession de foi, le canon 833 distingue la profession de foi proprement dite et le serment de fidélité. La profession de foi manifeste l’adhésion du fidèle à la foi et au magistère de l’Eglise. Le contenu de la profession révèle les vérités auxquels on est attaché. Quant au serment de fidélité, il renforce les engagements pris et implique l’accomplissement fidèle des obligations inhérentes à l’office, le maintien et l’annonce de la doctrine, le respect de la légalité, l’obéissance aux autorités légitimes. Ce serment est différent de celui émis par les parties ou témoins devant le tribunal ecclésiastiques (cc. 1532 ; 1562). Dans ces cas, il s’agit du serment de dire ou d’avoir dit la vérité. Les normes pour un serment valide nous sont fournies dans les canons 1199-1204. Le parjure (c. 1368) suppose l’infidélité au serment émis.
S’agissant de vœux ou promesses, les canons 1191-1198 montrent que leur objet est un bien possible à accomplir au nom de la religion. Il est demandé que le sujet qui fait la promesse ait l’usage suffisant de la raison et qu’il agisse librement. La fidélité apparaît supposée non seulement de la part des personnes qui font les vœux mais aussi de la part de l’Eglise qui les reçoit.
Par le consentement, l’Eglise encourage la fidélité en établissant les normes de sa validité. Un consentement vicié par la simulation, le dol, le manque de liberté, etc., expose à l’infidélité. Dans le cas du mariage, par exemple, le vice de consentement rend le mariage inexistant (cc. 1095-1107).
La profession de foi, les vœux et le consentement valide sont des moyens pour agir et vivre dans la fidélité.

III. Conclusion

Au terme de cet exposé, une question se profile : la fidélité est-elle possible ? La réponse, on ne peut plus clair, est OUI. Elle est une réalité humaine. Quoiqu’on puisse la définir et la décrire de façon objective, elle s’incarne dans des personnes concrètes avec leurs systèmes de croyances et d’option de vie. Avec les personnes, elle connaît des hauts et des bas. La lutte ou les énergies déployées pour être et rester fidèle témoignent des potentialités de l’homme à être infidèle. Et c’est cette lutte qui explique le progrès de l’humanité. Les conquêtes de l’homme : technologies, valeurs, droits de l’homme, etc., ne sont pas des fruits du hasard mais des récompenses des efforts consentis pour des objectifs nobles. La fidélité comme une valeur noble réclame des efforts pour devenir réalité. Le Code de droit canonique met à la disposition des fidèles chrétiens des normes qui leur permettent de vivre et rester dans la fidélité.


Pierre Kaziri
Docteur en Droit canonique