Le sujet que nous
nous apprêtons à considérer peut paraître surprenant et cela pour plusieurs
raison. Pourquoi s’arrêter sur les consacrés étudiants alors que le Code
prévoit des normes spécifiques pour les consacrés (cc. 573-746) ? Les
consacrés étudiants sont-ils une communauté homogène pour identifier leurs
droits spécifiques en tant qu’étudiants ? Et d’autres questions… Alors si
une réponse claire ne peut pas être donnée, ne faudrait-il pas désister de
traiter le sujet pour être non pertinent ?
En effet, si nous
nous arrêtons sur ce sujet c’est que, actuellement, nous nous mouvons dans le
monde de la formation. Et la question m’a été posée par trois groupes
différents sans aucune préalable consultation. Le Code de Droit canonique
définit-il des droits des consacrés étudiants ? Sous une autre version, on
m’a demandé si les consacrés étudiants ont-ils des droits ?
A première vue,
la question est simple car il suffirait leur dire que tout le Code de Droit
canonique les concerne. Et là nous nous
demandons si une telle réponse proviendrait de quelqu’un qui a saisi le fond de
la question. Nous pensons que la demande veut une précision sur les droits
spécifiques pour les consacrés étudiants. A la limite, la question cache un
malaise des consacrés étudiants en rapport avec leurs supérieurs qui ne
sembleraient pas reconnaître les droits que les consacrés étudiants
revendiquent. Adressée au professionnel du Droit canonique, la question chercherait
à mettre les points sur les i pour départager les uns des autres et savoir qui
a tort ou qui a raison. Et dans ce cas, le tribunal constitué peut violer
facilement le principe fondamental du droit moderne à savoir le respect du
droit à la défense (c. 1620, 7º).
Reconnaissant,
toutefois, que la question mérite une réponse proportionnée, nous nous sommes résolus à écrire cette page, non
exhaustive certainement, en espérant que des contributions constructives y
seront apportées à volonté.
D’emblée, nous
précisons que les consacrés étudiants ont des visages multiples ou disons mieux
des statuts contrastés. Ne parlant pas des postulants, on peut reconnaître aux
novices une certaine consécration pour les admettre dans le groupe.
Rigoureusement parlant, les novices ne sont pas des étudiants mais ils sont en
formation. Et souvent les préoccupations de leurs aînés sont nées pendant le
noviciat ou bien avant. Et le groupe qui serait concernés, les consacrés
étudiants proprement dit, serait celui des consacrés des vœux temporels et
spécifiquement ceux qui sont aux études ou dans les maisons de formations avant
l’émission des vœux perpétuels. Les contours de ce groupe n’est non plus
uniforme car il y a des consacrés qui avant les vœux perpétuels sont en mission
pastoral charismatique et non dans les maisons typiques de formation. Cela
compte tenu des choix multiples des Instituts pour former leurs membres. Il
n’est pas rare de trouver des consacrés de vœux perpétuels retourner aux études
et l’on peut se demander si la question les affecte aussi. Enfin, comme la
formation est un processus continu, on pourrait se demander si ceux qui sont en
session de formation permanente sont aussi affectés.
Laissant de côté
la problématique d’inclusion et d’exclusion pour identifier les sujets concernés
par la question, en admettant qu’il peut toujours y avoir des cas d’exception,
on peut supposer que le noyau de la question concerne les consacrés étudiants
de vœux temporels. Cela à cause de la perception qu’on se fait des évaluations
pour être admis à l’étape suivante. Ceux qui évaluent sembleraient utiliser
l’évaluation comme une arme redoutable pour établir l’espace des droits ou pas.
Ceux qui la subissent se demanderaient alors si réellement le Code de Droit
canonique leur accorde des droits. Leur demande est ouverte et nous aurons
l’occasion d’y revenir.
Abordant alors le
fond de la question, nous disons que le renvoi à la lecture du Code de Droit
canonique dans son ensemble ne serait pas une bonne réponse. On n’a pas le
temps de tout lire et on ne sait même pas par où commencer. La raison même de
ne pas emprunter cette voie est que le Code ni même la partie qui traite des
consacrés ne parlent pas uniquement des droits et obligations des consacrés
étudiants. Pour une réponse satisfaisante, il faut faire un tri et montrer
d’abord l’esprit du Code de Droit canonique et la formulation positive de ce
que les consacrés étudiants peuvent s’approprier comme droits les concernant. Quatre
volets constitueront donc la réponse à la question posée : 1) le but du
Code de Droit canonique qui définit le cadre des droits et devoirs des fidèles
du Christ (y compris les consacrés étudiants) ; 2) les droits de tout
fidèle dans l’Eglise ; 3) les droit et obligations des consacrés en
particuliers ; 4) et quelques indications sur les droits et devoirs
implicites dans quelques normes du Code.
1. Du but du Code
de Droit canonique. En promulguant le Code en 1983, le pape Jean Paul II avait
indiqué dans la Constitution apostolique Sacrae
Disciplinae Leges que le Code est un effort pour traduire en langage juridique
les enseignements du Concile Vatican II. Et le Synode de 1967 qui prépara la
révision du Code antérieur souligna que le nouveau Code devrait avoir un
caractère éminemment pastoral. Dans le Code actuel ce but se perçoit clairement
dans le dernier canon (le c. 1752) qui stipule que l’application du Code ne
doit rechercher que le salut des âmes. D’ici on devine que tout ce qui met en
relation les supérieurs et les consacrés étudiants ne peut que se situer dans
la recherche droite du salut de tous.
2. Des droits des
fidèles. Avant de se consacrer au Seigneur par la voie de la pratique des
conseils évangéliques, on est fidèle chrétien. Ces droits demeurent s’ils
n’entrent pas en conflit avec les droits spécifiques des consacrés.
Sommairement, nous indiquerons ici ceux-là qui apportent une réponse à la
question posée.
- le canon
208 : ici l’Eglise reconnait à tous les fidèles l’égalité en dignité et la
diversité de fonction selon la condition de chacun. La dignité de chacun est un
droit inaliénable des fidèles dans l’Eglise. La condition ou statut de chacun
détermine son rôle ou action dans l’édification de l’Eglise. Le consacré de vœu
temporel n’a pas le statut de devenir supérieur d’une maison religieuse, par
exemple.
- le canon
209 : évoque le devoir de communion dans l’Eglise.
- le canon
210 : devoir de rechercher la sainteté.
- le canon
211 : droit et devoir de mission.
- le canon 212,
§1 : devoir d’obéir et de respecter la hiérarchie.
- le canon 212,
§2 : droit des fidèles de faire reconnaître leurs besoins.
- le canon 212,
§3 : droit d’opinion selon la compétence.
- le canon
213 : droit de secours spirituel.
- le canon
214 : droit de rendre culte selon les dispositions du rite approuvé.
- le canon 215 :
droit de fonder les associations.
- le canon
216 : droit de participer à la mission de l’Eglise.
- le canon
217 : droit à l’éducation chrétienne.
- le canon
218 : droit de recherche.
- le canon
219 : droit à choisir, et de ne pas être contraint à choisir, l’état de
vie. Ici l’Eglise protège la liberté des enfants de Dieu. Cette protection
affecte tous les actes juridiques des personnes physiques ou juridiques (c.
125). En d’autres termes, on peut voir ici le droit à être heureux.
- le canon
220 : droit à la bonne réputation. La diffamation est donc un délit dans
l’Eglise.
- le canon
221 : droit à réclamer justice au tribunal et d’être jugé conforme à la loi.
Ici le droit à la défense est assumé (c. 1620, 7º).
- le canon
222 : obligation de subvenir aux besoins de l’Eglise et promouvoir la
justice.
- le canon
223 : obligation de tenir compte des droits des autres.
Ces droits
reconnus aux fidèles du Christ demeurent toujours quand on entre au couvent. On
peut les évoquer s’ils n’entrent pas en collision avec les droits spécifiques
des consacrés, à n’importe quel étape de leur vie : en formation ou en
mission. On aura remarqué, en passant, que leur formulation est générique et
qu’il faudrait une interprétation détaillée pour déterminer l’extension de
chaque droit et voir concrètement quand cela affecte un consacré étudiant. Cela
renvoi donc à une étude spécialisée de chaque droit évoqué ci-haut, ce qui
déborde le cadre de notre réflexion. Qu’en est-il des droits spécifiques des
consacrés ?
3. Des droits et
obligations des consacrés en particulier. Dans le droit commun des consacrés,
ces droits et obligations répondent à un chapitre comprenant les canons 662 à
672. Certains de ces droits et obligations débordent la considération classique
et juridique du droit à exiger ou du devoir à accomplir. Cela parce que leur
contenu déborde la dimension juridique pour se situer à d’autres plans comme la
spiritualité ou la foi. Par exemple, les canons 662 et 663 : la suite du
Christ et la prière. Si on réduisait la suite du Christ et la prière au négoce
du droit d’échange, on les viderait de leur substance. Normalement quand vous
payez le loyer d’un appartement ou d’un studio, le bailleur vous doit
l’appartement ou le studio loué. Ce schéma de devoir-obligation ne fonctionne
pas en parlant de la suite du Christ et de la prière. Ici on se situe à une
autre dimension de foi, d’amour, de relation intime entre Dieu et le consacré.
Il y va de son existence, de son être (cc. 573 ; 607). Cela dit, on peut
relever les droits et devoirs des consacrés reconnus par le Code :
- le canon
662 : la suite du Christ selon les constitutions de l’Institut. Cela
rappelle le canon 210 sur le droit de rechercher la sainteté de la part des
fidèles.
- le canon 663 :
droit et obligation de la prière : Eucharistie ; lecture de la
Bible ; Liturgie des Heures ; culte marial ; retraite spirituel.
Cela exige de l’Institut des espaces, des moyens matériels, du calendrier, etc.
Et c’est de droit pour les membres d’en avoir.
- le canon 664 :
droit au sacrement de Réconciliation.
- le canon 665 :
droit et obligation de résider dans une maison religieuse (ce qui implique la
nomination ou droit à être destiné à vivre dans une communauté précise).
- le canon
666 : obligation de se séparer du monde par l’usage modéré des moyens de communication.
- le canon
667 : droit et obligation d’observer la clôture.
- le canon
668 : obligation de se séparer du monde dans la gestion des biens
temporels.
- le canon
669 : obligation et droit de porter l’habit religieux, cela pour les membres
des Instituts religieux et selon les prescriptions de leurs constitutions.
- le canon
670 : droit à recevoir le nécessaire de l’Institut en vue d’atteindre le
but de la vocation.
- le canon
671 : obligation de se référer au supérieur légitime, et de recevoir de
lui une autorisation, avant d’accepter une charge ou un office en dehors de
l’Institut.
- le canon
672 : obligation à la continence, d’éviter ce qui ne convient pas à l’état
des consacrés, de ne pas assumer des fonctions publiques, de ne pas gérer les
biens des laïcs, de rechercher et maintenir la paix entre les hommes, de ne pas
militer dans les partis politiques et d’y exercer des responsabilités, de ne
pas faire le service militaire sans permission.
- le canon 1179 : le droit aux funérailles dans l'église ou oratoire de l'Institut, célébrées par le Supérieur si l'Institut est clérical. si non par le chapelain.
- le canon 1179 : le droit aux funérailles dans l'église ou oratoire de l'Institut, célébrées par le Supérieur si l'Institut est clérical. si non par le chapelain.
Cette liste des
droits montre, en effet et en grande ligne, ce que l’Eglise attend des
consacrés et leur image dans le monde. Est-elle complète, exhaustive ?
Nous ne le pensons pas mais, sans doute, elle reflète les préoccupations de
la hiérarchie pour une forme de vie
structurée et disciplinée. En guise de complément, nous évoquons, dans la
suite, les droits et obligations implicites dans d’autres canons du Code
actuel.
4. Des droits et
devoirs implicites dans le Code pour les consacrés étudiants. Dans ce
paragraphe, nous ne saurions pas parcourir tout le Code pour relever les droits
implicites des consacrés étudiants ; seulement nous allons nous limiter à
quelques canons qui nous paraissent plus significatifs et pragmatiques pour le
cas qui nous concerne.
- les canons 617
à 619 décrivent comment un supérieur consacré gouverne ses confrères ou
consœurs. En grande ligne, le supérieur gouverne ses frères ou sœurs selon le
droit, dans un esprit évangélique et de fraternité et dans le respect de la
dignité de chacun. Ces recommandations ou obligations du supérieur dans
l’exercice de sa charge sont des droits des frères et sœurs.
- le canon 657, §
2 fixe le délai maximal de vœux temporels à neuf ans. Ici la norme accorde au
consacré plusieurs droits, entre autres : le droit à être formé dans un
temps déterminé (l’Institut ne peut pas le considérer comme un mineur d’âge
indéfiniment) ; le droit de jouir de tous les droits existant dans l’Institut une fois la formation achêvée et admis à la profession des voeux perpetuels :
pleine participation dans la vie de l’Institut avec des droits y relatif ;
le droit de pleine intégration si les conditions sont remplies.
- le canon 660, §
2, en voulant favoriser le rendement maximal du temps consacré à la formation,
interdit les Instituts à confier des charges aux membres en formation. C’est
donc un droit des consacrés étudiants à se consacrer entièrement à la formation.
- le canon 1341: établit le mode de sanctionner dans l’Eglise et trouve un écho dans le cas qui
nous concerne ici. Les consacrés étudiants sont des personnes pouvant s’égarer
comme tout être humain. Avant de prendre la sanction, le canon exhorte le
supérieur de tenter pastoralement à ramener le coupable au bon chemin. Ce canon
est applicable aussi dans certaines figures de séparation d’un membre d’avec
son Institut (cc. 689, § 1 ; 696).
Pour conclure
cette page, on peut reprendre la question et se demander encore si nous avons
apporté une réponse satisfaisante. Si nous restons dans le cadre du Droit
canonique et que la question posée suppose que les droits à connaître sont ceux
qui nous maintiennent dans les objectifs de la vie consacrée comme c’est la
recherche de la sainteté, alors on peut espérer que la réponse a été trouvée.
Imaginons, par exemple, que quelqu’un du groupe pose la question de ses droits
à partir d’une vie consacré que lui-même essaie de se construire (ai-je le
droit de posséder les choses comme les jeunes de ma génération ; pourquoi
demander une permission au formateur ; etc.), dans ce cas la réponse ne
lui sert à rien. Si la question a des liens lointains ou directs avec l'évaluation des formateurs et supérieurs, la réponse est de rester serein car le droit existe pour faire grandir les personnes et non vivre dans une peur permanente. Tous nous avons besoin d'être libre et heureux. La réponse que nous avons donnée supposait que nous partions
tous du postulat du droit de la vie consacrée tel que l’Eglise nous le
présente. En dehors de ce cadre, il se produit tout simplement un dialogue des
sourds. Nous pensons sincèrement que ce n’était pas le cas. Parfois les
formateurs, nous devons l’admettre, nous ignorons ce que l’Eglise a prévu dans
l’exercice des droits des fidèles et des consacrés en particuliers. Ceux qui
nous voient agir, parfois correctement, parfois maladroitement, s’étonnent et
s’interrogent. L’humilité nous exigerait de reprendre le chemin du pèlerin et
visiter le Code, voir les droits et obligations des uns et des autres. Et c’est
ce que nous avons essayé de faire comme orientation. Merci pour enrichir le
débat.
Père Pierre
KAZIRI, O. de M.
Docteur en Droit
canonique.