Au cours de cette
année dédié à la vie consacrée, beaucoup a été dit sur sa nature et mission. En
scrutant de près la manière de comprendre et d’interpréter la réalité qui nous
entoure, nous percevons toujours que quelque chose nous échappe. Ainsi sur la
vie consacrée, il reste encore à dire. Et c’est vrai que chaque fois que nous
tentons de définir ou décrire un objet, une idée, il ou elle se présente sous
forme d’un mystère, insaisissable, impénétrable totalement. Il ou elle se
rapproche et s’éloigne alternativement. Et ce qui reste comme définitivement
acquis demeure toujours sous la loi de l’actualisation, de retouche, du
recadrage. En cela, l’élément fixateur de notre attention, l’attrait qu’il
exerce à notre esprit pour un retour inattendu, inconscient et spontané
constitue ce que les poètes ont considéré comme la merveille des vivants. Pour
cela, la vie consacrée se laisse aussi contempler à travers ses merveilles. En
attendant un consensus régional ou mondial qui se dégagerait sur la question,
je propose les sept merveilles suivantes comme trésors inestimables de la vie
consacrée.
Le don est
toujours en rapport étroit avec le verbe donner. Il renvoie à ce qui est donné
ou reçu gratuitement. C’est un cadeau, qu’il s’agisse d’un bien matériel ou
spirituel comme un talent. La vie consacrée dans l’Eglise apparaît ainsi comme
un don de Dieu par l’Esprit (Lumen
gentium, 43 ; Code de Droit
canonique, c. 575 ; Vita
Consecrata, 3). Elle a une source divine et par là, il est inépuisable,
indescriptible par l’esprit humain. Il peut y avoir, certes, des approches sur
son histoire, ses institutions, sa physionomie mais à chaque époque et
circonstance, elle nous montre un visage renouvelé, dynamique, énergique. Sa
vitalité s’appelle charisme, qui en grec se traduit par don. La vie consacrée
peut donc se résumer entièrement par sa gratuité : don à l’Eglise. C’est
un don de Dieu à l’Eglise mais aussi un don des hommes à Dieu par l’Eglise.
Voilà ce qui dépasse l’entendement : la gratuité, l’abandon, la donation.
En cela, il se révèle que la vie consacrée va au-delà des activités des
consacrés pour se laisser saisir comme don. Le meilleur, la grandeur de la vie
consacrée consiste effectivement en cela : être don de Dieu et don de soi.
Traditionnellement
et pendant des siècles, la vie consacrée a été défini comme un état de
perfection. Les concepts de « sequella Christi » ou de « fuga
mundi » fréquemment employés en direction des membres de la vie consacrée
a comme toile de fond cette obsession des consacrés pour la sainteté. La
sainteté est ici perçue comme une grâce de Dieu recherché et accordé à un
disciple du Christ pour lui ressembler, Lui qui est l’image du Père infiniment
Saint. La sainteté n’est alors autre chose que l’image de la vie divine
présente au milieu du monde. Ainsi, la vie consacrée en se proposant d’anticiper
le royaume futur dans l’Eglise et dans le monde (Lumen gentium, 44 ; Code
de Droit canonique, c. 573), elle offre à tous les possibilités d’entrevoir
les signes de la sainteté ici et maintenant. Pour cela, l’histoire est témoin
de nombreuses figures de la sainteté reconnaissable et publique aux yeux de
l’Eglise et cela dans les domaines variés : martyre, contemplation, vie
apostolique, missionnaire, etc. Quelle serait le visage de l’Eglise sans un
saint Benoît, un saint François d’Assise, un saint Pierre Nolasque, un saint
Thomas d’Aquin, un saint Jean de la Croix, une sainte Thérèse d’Avila, une
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, une sainte Joséphine Bakhita, une
bienheureuse Annuarite, une bienheureuse Thérèse de Calcutta, etc. !
La plénitude de
l’homme sous-entend en grande partie son intégration dans le tissu social. La
rencontre avec les autres n’est jamais une simple agrégation des individus mais
un échange des identités et de culture. L’homme a besoin d’être entouré de ses
semblables pour se reconnaitre, se construire et s’épanouir. L’isolement c’est
la prison. Pour cela, avoir une famille, des parents, des frères, des sœurs,
des enfants, des amis… et pouvoir échanger librement avec eux, est une
bénédiction que rien au monde peut substituer. Dans la vie consacrée, ce trésor
se multiplie exponentiellement. Le consacré a des pères, des mères, des sœurs,
des frères, des fils, des filles à l’infini. La vie consacrée c’est la
fraternité universelle, une fraternité au-delà des races, des statuts, des
générations. Véritablement, la vie consacrée est un miracle. Certes, les
frottements restent une possibilité mais le pardon mutuel règne sur la tendance
naturelle de se venger et de dominer. La vie consacrée par sa vie commune
fraternelle est l’expression de l’Eglise vivante où il n’y a ni grec, ni juif,
ni païen.
Une des lois
naturelles des êtres vivantes est leur reproduction. La reproduction implique
la tendance pour la perpétuité. Chaque espèce a son mode de se reproduire. Une
graine, d’une plante ou d’un fruit, héberge des plantes ou fruits en devenir.
La science continue à faire des recherches pour expliquer les conditionnements
et le processus de la reproduction des êtres vivants. Chez les hommes, la
reproduction n’est pas seulement un processus biologique mais aussi théologique
de participer à la création de Dieu. La reproduction est sacrée chez l’homme.
Pour cela, la naissance d’un être humain n’est purement pas un acte de rencontre
d’une femme et d’un homme mais un acte souverain de Dieu. Ce miracle de la vie,
fait que les hommes prenant conscience de leur puissance, en sont arrivés à
exalter le corps et se voir comme des dieux. L’orgueil aidant, les actes de
reproductions humaines sont devenus, ces derniers temps, comme des actes
ludiques. Le monde moderne semble inéluctablement jouer avec le corps. Par la
chasteté, non seulement supposée mais vécue, la vie consacrée offre au monde le
respect du corps, de l’autre et de soi. La résistance aux sollicitations
biologiques du corps et aux excitations ambiantes fait du vœu de la chasteté
une grâce et non une conquête. Sa beauté confond les incrédules et sa fécondité
déborde les prévisions démographiques. La vie consacrée existe là où il y a la
chasteté du cœur, le regard serein et pur. Pour la vie consacrée, la chasteté
c’est de l’or pur.
Si la sainteté
des consacrés frappe les esprits au sein de l’Eglise, leurs œuvres débordent la
communauté chrétienne pour impressionner le monde entier. Que ce soit dans le
monde des arts, de la science et de la vie sociale, les couvents demeurent
toujours une source d’inspiration. Combien des consacrés ont dépensé et
dépensent encore leur vie dans l’humanitaire, toujours prêts à s’oublier pour
le bonheur de l’autre ! Ainsi des maisons d’accueil, des refuges, des
hôpitaux, des églises, des heures d’écoute, etc., peuplent l’univers en vue de
donner encore un sens à notre vie en pèlerinage. Le monde n’oubliera jamais
l’apport des consacrés en matière de l’éducation des masses et des plus
défavorisé ; non plus la douce musique pour la fraîcheur de l’esprit, la
paix du cœur. L’art, la finesse, le sublime, la pureté, la perfection est toujours
la note distinctive des œuvres des consacrés. En effet, ce qui rend merveilleux
les œuvres des consacrés, c’est qu’ils sont fait non pour le plaisir éphémère des
hommes mais pour la gloire de Dieu.
Les consacrés
sont dans le monde sans être du monde. Pour le monde, ils offrent un sourire
indéchiffrable, envoûtant, formidable. Ils sont les maîtres du goût, de la
saveur du bon : bières, vins, spiritueux, friandises, etc. Pour qui les
fréquente, on sent ce plaisir, cet attrait de les revisiter pour un dialogue
franc, un amour sincère et désintéressé. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait
pas de cas d’incompréhension ou des déceptions. Les consacrés sont
véritablement humains : ils sont pécheurs et connaissent des hauts et des
bas. Mais, en soi, la vie consacrée veut être cet espace d’humanité
idyllique : liberté, concorde, harmonie, équilibre, progrès, différence,
foi, pardon, bonheur, sens, esprit, transcendance, vie en plénitude, etc. Dans
son humanité, la vie consacrée se révèle pour son intérêt du sort des hommes.
Nombre des charismes de la vie consacrée se déclinent par son intérêt à
promouvoir la vie des autres : santé, éducation, libération des captifs,
droit de l’homme, etc. Bref, l’humanité de la vie consacrée est ce binôme inséparable
d’amour de Dieu et de la nature.
Essentiellement,
les consacrés existent sans exister. Selon saint Paul, le véritable disciple ne
vit pas mais c’est le Christ qui vit en lui (Ga 2, 20). Le consacré aussi, en
abandonnant tout pour le Christ, ne vit pas pour lui-même mais vit pour que le
Christ soit loué. Fondamentalement, le consacré n’est pas l’original ; il
est la copie. Sa vie, ses œuvres n’ont pas d’importance pour lui-même ;
tout est pour la manifestation de la présence du Christ, son écho pour le monde
d’aujourd’hui. Le consacré, en effet, ne se réjouit pas d’avoir immortalisé son
nom (une statue qui serait dressé au milieu de la ville ou une rue qui
porterait son nom) mais du fait que le nom du Christ soit connu. Pour cela, le
consacré ne meurt pas. Tant que le nom du Christ peut être annoncé, le consacré
est toujours vivant ; il existe par son effet sans exister lui-même.
Dans l’Eglise, la
vie consacrée est l’une des merveilles de Dieu comme l’est le Pape, le Collège
des Évêques, la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, la dévotion à la
Vierge Marie, etc. De cette merveille de la vie consacrée, nous pouvons
entrevoir d’autres merveilles que j’ai voulu en proposer sept principales.
Comme je l’ai indiqué au départ, elles sont à notre portée mais restent
insaisissables. Leur attraction nous permet d’aimer à jamais la vie consacrée
dans sa grandeur et sa misère.
P. Pierre Kaziri,
O. de M.